
...
Dans le football, il y a des défaites qui laissent des cicatrices. Celle de mardi soir face à Mamelodi Sundowns, en quart de finale retour de la Ligue des champions de la CAF, n’en fait paradoxalement pas partie. Pour la majorité des supporters sang et or, l’élimination n’a été ni un choc, ni une injustice. Plutôt la conséquence logique d’une série d’erreurs accumulées depuis plusieurs mois. L’Espérance n’a pas démérité. Elle s’est battue avec ses armes, limitées, contre un adversaire mieux préparé, mieux organisé, et tout simplement supérieur à l’instant T. Mais au-delà du verdict sportif, ce revers sonne comme le reflet d’un malaise plus profond. Voici pourquoi, en quelques points non exhaustifs.
1. L’influence délétère des réseaux sociaux. L’Espérance, bastion de rigueur et d’indépendance, semble peu à peu céder à un phénomène inquiétant : la dictature de l’opinion numérique. Là où autrefois les décisions se prenaient dans la sérénité des bureaux ou sur le rectangle vert, elles semblent aujourd’hui dictées par la colère virale de certaines pages et profils. Joueurs blacklistés après des torrents d’insultes, titularisations suspectes, sanctions précipitées, licenciements d’entraîneurs à chaud… Le club est devenu hypersensible à ce qui se trame en ligne. Or, la gestion d’un club de l’envergure de l’Espérance ne peut se faire à coups de hashtags et de publications virales. Le populisme numérique est un piège qui déstabilise et divise, là où le club a besoin de continuité, de courage dans la vision, et de sérénité dans l'action.
2. Recrutement et effectif : des choix discutables. Le dernier mercato hivernal, censé être celui des ajustements stratégiques pour aborder la phase décisive de la saison, a laissé un goût amer. Les ambitions étaient claires : briller en Ligue des champions, performer en championnat, et surtout, se préparer pour le prestigieux Mondial des clubs. Ce dernier objectif, à lui seul, justifiait un mercato d’envergure. Or, au lieu de miser sur des joueurs confirmés, expérimentés et capables d’apporter un plus immédiat, les choix ont été marqués par le tâtonnement. L’absence de remplaçants au profil similaire après les blessures de cadres comme Yassine Meriah, Rodrigo Rodrigues, Roger Aholou ou encore Mohamed Amine Tougaï a pénalisé lourdement l’équipe. Dans un calendrier aussi chargé, chaque manquement se paie au prix fort.
3. Une instabilité chronique au niveau du staff technique. Changer deux fois d’entraîneur au cours d’une même saison n’est pas digne d’un club aussi structuré que l’Espérance. Cela peut arriver ailleurs, mais pas chez nous. La séparation brutale avec Miguel Cardoso, artisan du retour en force de l’équipe la saison passée, éliminant Sundowns en demi-finale, fut un tournant. Sous la pression populaire et médiatique, Cardoso a été caricaturé, déstabilisé, et finalement écarté. Son successeur, Laurențiu Reghecampf, n’a eu ni le temps ni les moyens de s’installer. Six mois plus tard, même constat, même issue. Aujourd’hui, c’est Maher Kanzari qui a dû colmater les brèches dans l’urgence, avant une confrontation capitale qui a abouti au résultat que l’on connaît.. Mais aucun entraîneur ne peut construire sans stabilité, sans soutien, sans protection institutionnelle. Les grands clubs dans le monde ont compris cela depuis longtemps.
4. L’impuissance face aux attaques extérieures. Ce n’est un secret pour personne : l’Espérance est la cible de critiques incessantes et souvent malveillantes sur les plateaux télés et radios. Une campagne orchestrée, insidieuse, parfois même haineuse, qui vise à déstabiliser le club. Le silence de la direction face à ces agressions n’a fait qu’amplifier leur impact. À cela s’ajoutent des décisions contestables de certaines instances : programmation volontairement pénalisante, désignations arbitrales litigieuses, convocations de joueurs clés (Belaîli) à l’approche de rendez-vous cruciaux. L’Espérance a toujours été respectée lorsqu’elle se faisait respecter. Ce n’est qu’en reprenant cette posture ferme et assumée qu’elle pourra restaurer son autorité et son aura.
Et maintenant ?
L’élimination continentale est un coup dur, certes. Mais la saison est loin d’être terminée. Il reste un championnat à conquérir, une Coupe à disputer, et surtout, un Mondial des clubs à préparer avec sérieux. Ce tournoi planétaire ne doit pas être perçu comme une simple vitrine mais comme une responsabilité. Il faudra montrer une autre image, celle d’un club structuré, ambitieux, fidèle à sa grandeur.
Mais pour cela, l’Espérance devra d’abord se regarder dans le miroir. Reconnaître ses failles. Rompre avec les logiques à court terme. Retrouver la stabilité, la lucidité, la vision. L’ogre d’Afrique ne meurt jamais. Mais il doit parfois se réveiller, rugir, et rappeler au monde qu’il est, et restera, un géant du continent.