CAN 2015

Le foot hors-jeu


Issa Hayatou, président de la Confédération Africaine de Football depuis 1988. (Photo IconSport)
Issa Hayatou, président de la Confédération Africaine de Football depuis 1988. (Photo IconSport)

...

Côté CAN, ce n’est décidément pas l’année des Aigles. Ceux du Mali ont été évincés de la Coupe d’Afrique des nations de football millésime 2015 par tirage au sort -procédé inepte mais réglementaire en cas d’égalité parfaite- au profit du Syli national de Guinée-Conakry. Quant à ceux de Carthage, en clair les Tunisiens, ils doivent à un arbitrage déroutant de se voir privés du quart-de-finale qui leur tendait les bras. Un pénalty imaginaire, sifflé à l’ultime minute par l’homme en noir, vêtu pour l’occasion de bleu ciel, ayant offert au Onze de la Guinée équatoriale une égalisation inespérée, donc une prolongation dont un coup-franc millimétré de Javier Balboa scellera le sort.

Le petit émirat pétrolier hispanophone, régenté à la chicotte depuis 1979 par le putschiste Teodoro Obiang Nguema, revient de loin : la défection providentielle du Maroc, effrayé par le spectre du virus Ebola, lui a valu d’hériter in extremis de l’organisation de la compétition continentale, donc de remettre en selle d’office, privilège dévolu au pays-hôte, une sélection éliminée du tour préliminaire pour avoir aligné un joueur non-qualifié…

En Afrique comme ailleurs, en Afrique plus qu’ailleurs, le ballon rond demeure l’une des armes fatales de l’arsenal politique. Le choix du coach, l’attribution du brassard de capitaine, la « compo » de l’équipe ou le montant des primes de match relèvent de l’affaire d’Etat, donc du fait du prince. C’est souvent sous les lambris de la présidence, et non dans les vapeurs âcres du vestiaire, que tout se joue. Panem et circenses. Du pain et des jeux. Lorsque le pain vient à manquer, ou que le charançon en dénature le goût, reste pour apaiser les rancoeurs de la foule les jeux du cirque, de l’arène ou du stade. En cas de revers, gare aux pillages et aux émeutes.

Maître d’une kleptocratie orwellienne et clanique, Obiang avait, après le succès inattendu du Nzalang nacional, 118e au classement de la Fifa, sur le Gabon voisin, asséné à ses gladiateurs un discours martial : « Vous avez gagné une bataille, mais la guerre du tournoi continue. » Guerre orchestrée en famille. Prénommé Ruslan, le secrétaire d’Etat aux Sports est l’un des fils du Boss. Voilà trois ans, un autre de ses rejetons, le très bling-bling Teodorin, promu entretemps vice-président, avait remis 10 millions de francs CFA -15200 euros- à chacun des deux buteurs de l’empoignade victorieuse contre la Libye (1-0). Deux lauréats pour un seul « gol » ? Eh oui. Il se trouve que Son Excellence le Dauphin, ayant jugé valide un but refusé par l’arbitre, voulut réparer ainsi l’odieuse injustice. A l’évidence, le referee mauricien qui a officié hier à Bata n’encourt pas un tel désaveu…

Au besoin, le pouvoir en place flattera la fibre patriotique. Comment circonscrire à l’enjeu sportif le « quart » disputé le 31 janvier par les deux Congo, le Congo-Brazzaville et l’ex-Zaïre, que seules les eaux limoneuses d’un fleuve majestueux séparent ? Vu de Kinshasa, la victoire renversante des Léopards, un temps mené 2-0, fleure bon la revanche. Revanche sur les cousins qui, au printemps 2013, expulsèrent de facto environ 250000 « clandestins » venus de l’autre rive, à la faveur de l’Opération Mbata Ya Bakolo. En langue lingala : la gifle des aînés. Une claque partout, la balle au centre. Ce succès vaudra-t-il pour autant à Joseph Kabila, enclin à bricoler sa constitution pour briguer sous peu un troisième mandat, indulgence plénière ? Pas sûr. « Kabila, scandait une cohorte d’opposant kinois après le coup de sifflet final, même si on a gagné, tu vas quitter le pouvoir ! ».

Patron de la Confédération africaine (CAF) depuis 1988, le Camerounais Issa Hayatou incarne à la perfection les travers politico-affairistes qui minent le foot de la Méditerranée au Cap de Bonne-Espérance. Issu d’une influente dynastie de Garoua (Nord), frère d’un éphémère Premier ministre de Paul Biya, cet insubmersible notable fut épinglé dans un documentaire de la BBC dénonçant la corruption parmi les barons de la Fédération internationale. Pas de quoi détrôner un potentat qui fait distribuer dans les tribunes de presse des stades équato-guinéens une luxueuse plaquette à sa gloire exclusive.

Comme quoi le millésime 2015, s’il n’est pas celui des Aigles, peut ménager les rapaces de toutes obédiences…