Ce conte de fait divers étrange et célèbre eut lieu en l'an de grâce 1272 du Hégire, sous le règne de notre vénéré maître le Bey Mohamed, paix et absolutions à son âme...
En ces temps troublés, et du côté oriental de notre bonne Médine de Tunis, plus exactement à la lisière de sa muraille est, près de la Porte de la Nouveauté, subsistait un bourg malfamé, nommé Gorjani, où notre Seigneur et Maître avait construit son pénitencier.
Cette bourgade était peuplée d'un amalgame bigarré de réprouvés, vendeurs à la sauvettes, escrocs à la petite semaine, et autres coupe-jarrets, délesteurs de bourses et divers gibiers de potence.
Toute cette populace marginalisée vivait de petites rapines, menus brigandages et commerce d'articles de contrebande, importés de la Tripolitaine, étant entendu la proximité du caravansérail du Père Alioua, d'où partaient les diligeances et les caravanes vers les quatre coins cardinaux du royaume et au delà.
Axe Gorjani...
... Porte de la Nouveauté! (Photos: Wikimedia)
C'est là par la même que se sont installés les campements de régiments de Spaihis et des collecteurs de la Mejba et I3ana, et autres taxes par capitation au profit du trésor beylical.
Il y avait là toutes sortes de souks clandestins installés sous des tentes et baraquements de fortune, des maisons de jeu et tours de passe-passe, d'hôtels borgnes (oukellas), des établissements louches pour chipies volages et voyageurs en goguette; dont la fameuse et ancienne maison la "Bottière du Bulgare"...
Tout ce sinistre bric à brac nous renseigne sur les noms d'endroits demeurés jusqu'à nos jours comme la Porte des Esclaves ou Eunuques (le3louj) ou la Porte de la Fêlure (El Fella)... Dieu nous préserve de Lucifer l'ange déchu et maudit, car il n'y a de salut, ni de rédemption sans secours divin...
Une persistante rumeur parcourut les ruelles de la vieille et protégée Médina de Tunis, que la grâce de son vénéré protecteur nous protège, selon laquelle une certaine étrangère qui répond au nom de Sélima La Venteuse (ou Pot d'Echappement), venue de Tripoli dans une des multiples caravanes, et qui avait pris ses quartiers dans le bourg en question, aurait des dons de nécromancienne, ou Tagguèza.
Tripoli connection! (Photo: U C Berkeley Library)
Rendez vous compte, elle serait capable de transformer le plomb fondu en lingots d'or pur, à l'aide d'incantations diaboliques, du sang de caméléon, et de l'indécrottable moëlle d'autruche (zehm enn'3am). En outre, elle serait capable par l'imposition des mains, et des techniques de rebouteux de rendre aux femmes stériles leur fertilité, ainsi qu'aux vaches, chamelles et autres chèvres et brebis, et plus encore leur vigueur aux hommes impotents... Des histoires à dormir dans ses babouches...
C'est d'ailleurs de là que vient l'expression: "C'est le jour que t'avait promis la Tagguéza!" pour signifier: Mon vieux tu es dans une drôle de mélasse (pour rester poli)!
L'ennui à propos de cette rumeur, c'est qu'elle s'est accompagné d'une avalanche de plaintes déposées auprès des cheiks et gayeds de tous les bourgs de la Médina, de la Porte de la Petite Jambière aux Halfaouines, de la Porte de la Verdure à celle de Saadoune, en passant par celle des Abeilles et du Père de la Paix. Toutes déploraient la disparition de leur canalisations en plomb. Le cours du métal devenu rare atteignait des sommets aux Souks de Nahassine et des ferrailleurs du Père de la Paix ou Sidi Abd Esslem.
Les limiers des Spaïhis de sa majesté furent mobilisés pour résoudre cette énigme, et bientôt on leva le voile sur une faune de petits malfrats du quartier Porte du Renouveau, surnommés "Les branches pourries d'olivier" ou "Zantoures" qui étaient à l'origine de ces vols mystérieux de plomb. En fait la rumeur de cette nécromancienne avait suscité des vocations, et toute une économie souterraine d'apprentis sorciers s'est propagée comme une traînée de poudre dans les quartiers à l'embouchure des portes orientales de la capitale.
Tout ce petit monde des bas-fonds s'était mis à l'imposture de transformer le plomb fondu ouset coulé dans des pilons de plomb (mehress) en or pur et louis sonnants et trébuchants!!! Sélima la Tripolitaine s'est ainsi amassé une petite fortune en escroquant les multiples niais de passage et il y en avait des milliers qui se dirigeaient quotidiennement vers ou de retour de la Place Père Alioua. Tous détroussés comme des 3atrouss, il ne leur restait même pas le chéchia sur la calvitie!!!
Tout ce remue-ménage, ces émotions et entraves à l'ordre et paix publics incitèrent notre Bey de prendre les choses en main et faire cesser toute cette pagaille pleine de bruit et de fureur, comme l'aurait bien dit notre érudit Cheikh Saphir...
À la poursuite de la filoute écornifleuse. (Photo: Wikimedia)
Les Spaihis et autres garde-chiourmes déboulèrent de leurs casernements en vitesse et s'en furent à la poursuite de cette filoute écornifleuse. Et en deux temps, deux mouvements elle fut capturée avec son magot mal acquis et conduite accablée de chaines et sous les hués de la populace devant le grand Kadhi de la Kassba.
Et c'est à ce moment là qu'il y eut comme un coup de tonnerre sur la ville. La sensationnelle nouvelle se propagea à la vitesse d'un méhari qui dévale une dune. Notre nécromancière n'était en fait qu'un nécromancien, un homme déguisé en femme. Et investigation faite, il s'avérait agissait d'un escroc bien connu et réputé et qui se traînait des boulets et des casseroles aussi énormes que la distance qui sépare Tunis de Tripoli.
Secrets de nécromancien/ nécromancière! (Photo: Fine Art America)
Il ne s'agissait en fait que du fameux Slim Moulin à Vent de son vrai nom, un drôle de paroissien ce zigue, très actif agité et mobile et comme son nom l'indiquait à propos, c'était bien un Don Quixote qui ne brassait rien d'autre que du vent, à l'inverse de l'un de ses proches, un autre zantour surnommé Petit Poucet, et qui s'etait fait une spécialité de faire fermenter le jus de coeur de dattier, aux fins d'étancher les gosiers de la faune qui fréquentait les tripots de la face orientale tout cet espace marécageux qui s'étendait entre la Porte du Renouveau et le Mont des Peaux de Mouton.
Du Naft et des dollars! (Photo: The Rookie Cynic)
Slim Moulin à Vent fut déporté en Tripolitaine son pays d'adoption, là où il était de mèche avec un chef de guerre tribal que les gens qui traversent ce désert surnommé Pilier ou Chargé Le Ramonneux, un brigand qui subsistait de razzia et rapines, et du négoce du Naft, une substance malodorante et visqueuse qui jaillit dans certaines sources en plein Sahara et dont l'unique bienfait est de servir de matériaux à calfeutrer les coques des navires de pirates et flibustiers des îles face à la médina de Sfax, les chalutiers des pêcheurs de sardines du village de Bizerte, et parfois même de fard à visage, pour rendre plus crédible et pitoyable l'aspect des mendiants qui écument le pays des Souss (pluriel de Sassi et qui signifie mendiant). Une population plus connue sous le sobriquet de "Gens de la Pleurniche et de la Supplication Infinie" et que Belzébuth les emporte pour leur hypocrisie et leur peu de foi...
Ainsi se termine notre édifiante historiette sur les moeurs et coutumes des gens du temps jadis, et dont la morale et l'exemple restent d'actualité de nos jours encore hélas...
Mais honni soit qui mal y pense, à qui voudrait faire des rapprochements de près ou de loin avec des personnages réels vivants de nos jours, ou des clubs de football, aussi zantour soient ils!!! Loin de moi des idées saugrenues pareilles, tout le monde sait bien l'estime que je porte à nos respectables et honorables concurrents et adversaires...